Victorino Martín, Président de la Fondation du Toro de Combat, devant le Sénat

Discours intégral de Victorino Martin devant le Sénat :

« Le mouvement animaliste veut annihiler l’Espagne rurale »

L’éleveur et Président de la Fondation du Toro de combat défend la tauromachie en tant que « cadeau culturel de l’Espagne à l’humanité ».

 

Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

C’est un honneur de pouvoir intervenir devant vous aujourd’hui, en ce lieu qui représente le peuple Espagnol et son territoire.

Je comparais devant vous en ma qualité d’éleveur.

En représentation d’une lignée qui a fait l’objet de sélections durant des centaines d’années, il s’agit du toro brave, qui, en plus représenter l’image la plus connue de l’Espagne aux quatre coins du monde, est l’un des trésors génétiques de notre patrimoine.

Mais avant tout, je comparais devant vous en tant que Président de la Fondation du Toro de Combat, une entité de la société civile qui représente l’ensemble du monde taurin : tant les professionnels que les millions d’aficionados de la culture taurine, dans ses multiples expressions.

Il s’agit du toro de combat dans l’arène, et également ceux de « los bous al carrer »(littéralement « toros en la calle », toros dans la rue, jeux taurins pratiqués dans la région de Valence), ceux de recortes, ceux de « los correbous » (encierro catalan se pratiquant avec des vachettes)ceux de la « sokamoturra » (spectacle populaire taurin pratiqué au Pays Basque où il s’agit d’attraper les toros avec une corde), et tant d’autres.

Le toro structure depuis des siècles notre territoire.

Ce n’est pas par hasard que ce dernier est notre signe distinctif dans le monde entier.

Pour cela, il n’y a pas de meilleur endroit que celui-ci pour parler de tauromachie, expression culturelle ancestrale qui, dans chacun de nos territoires, trouve sa propre manière de s’exprimer.

L’aimerais que mon intervention aujourd’hui devant la Commission Culturelle du Sénat mette en lumière et éclaircisse quelques uns des aspects de la tauromachie qui sont aujourd’hui en jeu.

Pour y parvenir, la première des choses est de définir le champ du débat.

Oublier un instant la discussion quasi folklorique « pour ou contre la corrida, pour ou contre les jeux taurins » pour approfondir un peu sur la nature des choses.

Comprenons que le débat sur les toros –si nous souhaitons aboutir à notre objectif- nécessite de laisser de côté les habituels lieux communs.

Tout d’abord, il convient de se référer à notre relation aux animaux.

Comment doit être cette relation ?

Notre culture, notre civilisation, s’est construite sur la base de la domination de l’homme sur les autres acteurs avec lesquels nous partageons la planète : objets inanimés, plantes et animaux.

L’homo Sapiens a débuté son évolution spectaculaire à partir du moment où il a commencé à dominer tant les plantes que les animaux.

La révolution du néolithique nous a fait parvenir là où nous sommes aujourd’hui.

Les modèles de pensée n’ont rien fait d’autre que de reprendre cet état de choses, cette domination de l’homme sur la nature, que nous pourrions résumer avec cette citation de Protagoras (penseur Grec du Vè siècle) : « l’homme est le moyen de toutes choses »

A partir de ce cadre, nous sommes devenus ce que nous sommes, l’être humain utilise les animaux.

Et il les utilise pour de nombreux usages, non seulement pour l’impérieuse nécessité alimentaire.

Il les utilise pour se nourrir, pour sa survie ; mais également pour la haute gastronomie, raffinement intellectuel pour notre plaisir.

Il utilise également les animaux pour se vêtir, quand nous utilisons des vêtements de laine ou de cuir. Vêtements qui répondent à nos nécessités, mais également nos caprices, sous la forme de délicieux sacs, ceintures, blousons ou chaussures.

Et nous utilisons les animaux pour nos loisirs, pour effectuer une promenade à cheval, admirer un animal dans un zoo ou comme partie intégrante d’un folklore millénaire.

Ainsi, uniquement en Espagne et sans prendre en compte les poissons, sont tués chaque seconde environ 26 animaux.

1 560 animaux par minute.

Si nous prenions en compte les poissons, qui sont également des animaux, nous pourrions certainement tripler ce chiffre.

Je le répète, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, 26 animaux par seconde.

Voici par conséquent la réalité froide.

Je repose la question : Pouvons nous continuer à utiliser les animaux ?

Nous devons répondre à cette question par un oui ou par un non.

Et la réponse pourrait être « non ». C’est ce, qu’en substance, défend le mouvement animaliste.

Ce mouvement est une idéologie qui, avec quelques nuances, impose l’idée que l’homme n’a pas le droit d’utiliser les animaux, quel que soit son objectif.

Le mouvement animaliste veut placer sur un pied d’égalité l’homme et l’animal.

L’animalisme, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, est un mouvement qui a son origine dans le monde anglo-saxon.

Et plus précisément d’Amérique du Nord, et effectue la promotion de ses idées au niveau mondial.

Ce sont des dizaines d’organisations animalistes, avec des budgets de millions de dollars annuels, qui imposent cette idéologie de manière permanente.

Il ne se passe pas un jour sans que l’on voie dans un média une information relative à l’avancée de l’animalisme.

Nous sommes ainsi devant un mouvement international organisé, avec l’unique fin d’imposer un nouvel ordre moral au monde, de manière à ce que celui-ci devienne plus lisse culturellement, plus homogène, sans nuances.

Un monde lisse culturellement, prêt à ce que le vide laissé par notre expression culturelle soit colonisé, sans aucun doute, par de nouvelles coutumes, une pensée unique dans un monde de consommateurs homogènes.

Et, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, il ne s’agit pas malheureusement d’un futur de science fiction, encore très lointain. L’animalisme est déjà très présent dans notre vie publique.

Ainsi, le Parti PACMA (Partido Animalista Contra el Maltrato Animal), déjà proche de la représentation parlementaire, prétend résolument imposer la cause animaliste.

D’autres partis plus forts également travaillent à imposer la doctrine animaliste.

Permettez que je vous lise l’extrait d’une proposition de loi sur le bien-être animal présentée en 2018 devant le Parlement d’Andalousie, par un Parti représenté au Parlement :

« S’interroger sur la mort, la maltraitance ou la privation de liberté des animaux sont des avancées acquises dans la conscience de millions de personnes en Andalousie, et en même temps des interrogations émergent sur l’utilisation des animaux lors d’événements ludiques, à des fins expérimentales, vestimentaires ou même pour l’alimentation. »

Comme vous pouvez le constater, il s’agit de l’idéologie animaliste exprimée de manière orthodoxe.

L’animalisme, soyons clairs, est de notre point de vue une philosophie absolument incompatible avec notre culture, avec l’humanisme méditerranéen.

L’animalisme engendrerait une hécatombe culturelle, économique et écologique.

Culturelle, parce que l’animalisme serait la fin de pratiques culturelles centenaires qui nous définissent comme peuple : la rapa das bestas (tradition de Galice, consistant à rassembler les chevaux semi-sauvages qui errent dans les montagnes afin de leur couper les crins et les soigner si nécessaire), la romeria del Rocio (pèlerinage du Rocio), el arrastre de piedras (tradition du Pays Basque, traction de pierres par des bœufs), l’Ecole Royale d’arts équestres d’Andalousie, les (corre bous – voir page 1), la cetreria (fauconnerie), l’abattage du cochon, les encierros de Pampelune ou de Medina del Campo, la fête de la lamproie, « del campanu » (fête du saumon dans les Asturies), la caballada de Atienza (cavalcade, province de Guadalajara), la fête du poulpe et tant d’autres événements.

Economique, car ce serait la fin des élevages bien sûr, et également du travail du cuir d’Ubrique, de l’exploitation du thon basque, du jambon de Jabugo, de Teruel ou de Guijuelo, des couvertures d’Ezcaray, des chaussures artisanales de Mallorca ou d’Alicante, du fromage sous toutes ses formes, de la charcuterie de Salamanque, la saucisse de Girona et de Lerida, la fin des fruits de mer en Galice ou de la route du thon à Barbate (Cadiz) ou de Zahara de los Atunes (Andalousie).

Et enfin, l’animalisme créerait une débacle écologique. Le paysage en Espagne, comprenant l’une des plus grandes biodiversités d’Europe, s’est construit principalement du fait de la relation de l’homme et de l’utilisation de l’animal.

De cette manière, l’animalisme mettrait fin à la « dehesa » , joyau écologique mondial, et également aux « prados cantabricos » (prairies cantabriques), aux « dehesas boyales » (San Sebastian de Los Reyes) et à l’inestimable attention que nous portons à l’élevage des brebis et des chèvres dans nos campagnes.

L’animalisme est l’annihilation totale et absolue de notre culture et également de notre monde rural, avec toute sa culture, matérielle et immatérielle, et ses multiples manières de faire, de dire, de chanter, de danser ou de ressentir.

Et le toro, comme emblème et représentation de la culture le plus représentatif d’Espagne, est le premier trophée qu’ils voudraient arracher.

Mais que cela soit bien clair, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, après les toros il y aura d’autres batailles. L’animalisme ne s’arrêtera pas à l’interdiction des toros.

Pensez un instant de quelle façon le mouvement animaliste affecterait les différents territoires que vous représentez.

Et décidez ensuite si vous vous pliez à l’idéologie anti-taurine défendue par ces forces internationales.

Je comprends que, depuis un bureau à Madrid, il soit facile de défendre l’animalisme.

Je suis une personne fière d’appartenir au monde paysan.

Et je voudrais dire à tous ceux qui défendent l’animalisme qu’il viennent dans l’Espagne rurale, et qu’ils nous disent, en nous regardant dans les yeux, que nous ne pouvons plus vivre de ce qui nous fait vivre.

Il se peut que quelques uns trouvent à dire quelque chose comme « et bien, qu’ils se réinventent, qu’ils se consacrent à autre chose ».

Et à quoi exactement ? Qu’est-ce que nous allons faire de ces millions de personnes de l’Espagne rurale ? Tous développeurs d’applications pour téléphones mobiles ? Graphistes ? Inventeurs de je ne sais quelle chose qui serait à la mode ?

Mais dans quel monde vivent ces gens ?

A toutes ces personnes animalistes, je les invite à sortir de la ville, à approcher la campagne réelle, et qu’ils viennent nous dire en face qu’ils veulent nous détruire, qu’ils veulent en finir avec notre réalité.

L’animalisme, ce n’est pas s’occuper de chats et de chiens, l’animalisme veut annihiler l’Espagne rurale, tout simplement, de façon claire et nette.

Tout Parti politique qui approuve cette idéologie sera complice de cette tentative de destruction.

De toute façon, la réalité du monde, et bien sûr de l’Espagne nous indique que, à la question de savoir si nous pouvons utiliser les animaux, à ce jour, nous ne pouvons répondre que « oui ».

Et, si nous pouvons utiliser les animaux, pourquoi y a-t-il des gens qui demandent l’interdiction des toros ?

Mais parce que c’est un spectacle cruel, a-t-on l’habitude de répondre.

Mais moi je demande : Vraiment ? Peut-on considérer la tauromachie plus dure que la vie menée par les animaux dans l’immense majorité des exploitations industrielles ?

Ou le plus pertinent serait le fait que la cruauté de la tauromachie soit publique ?

Est-ce un problème d’y assister ? C’est un sujet particulièrement intéressant, Mesdames et Messieurs les Sénateurs.

Quel type de société voulons-nous ? Voulons nous une société où une minorité s’arroge le pouvoir de dire ce qui peut vu et ce qui ne peut pas l’être ?

Une caste inquisitrice qui pratique la censure et qui décide de ce qui est moral de ce qui ne l’est pas ? De ce qui est culturel et de ce qui ne l’est pas ?

Cette caste veillera-t-elle à que ne soit exposé qu’un type d’art ? Y aura-t- il l’art moral et l’art immoral interdit ? Décideront-ils de notre façon de nous vêtir pour être décents ? Décideront-ils de la longueur des jupes ? Décideront-ils où et qui nous pourrons embrasser ?

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, vous êtes les garants pour empêcher qui que ce soit de faire de l’Espagne un pays moins libre, et vous ne pouvez autoriser quiconque s’arroge le droit de dire ce qui est culture et ce qui ne l’est pas.

Cependant, je peux presque entendre quelque protestation qui dirait : « non, ce n’est pas la même chose, ici il y a un animal impliqué. »

Oui, ici il y a un animal impliqué, c’est certain. Nous avons déjà dit que l’homme utilisait l’animal à son profit, à ses fins.

L’UNESCO marque une ligne rouge pour qu’une expression culturelle soit admissible, celle des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Et la tauromachie, évidemment, ne transgresse pas cette ligne rouge.

Les êtres humains, bien sûr, avons des devoirs éthiques vis-à-vis des animaux, il ne manquerait plus que cela. Et ces devoirs, nous ne les oublions pas dans le monde de la tauromachie, et que personne n’en doute.

Ces devoirs sont présents à notre esprit, depuis l’élevage dans nos « dehesas », pendant des années, jusqu’à ce qu’ils meurent dans l’arène, pour illustrer un rite centenaire, entouré de respect et d’admiration.

Seule une méconnaissance totale ou un mensonge éhonté font dire que les gens se rendent aux arènes pour s’amuser de la souffrance.

Si les gens s’amusaient de la souffrance, soyez sûrs que depuis longtemps, il y aurait des gradins dans les abattoirs.

Et il y aurait nombre de personnes qui ne le comprendraient pas et n’en verraient pas la nécessité.

Concernant les toros, je vous assure qu’il ne s’agit pas d’un simple engouement pour nombre de personnes. Il s’agit d’une partie inhérente à la plupart d’entre nous.

Savater (philosophe contemporain) dit que l’homme a besoin de l’art, des rites, pour créer des mécanismes contre la mort, des baumes contre l’évidence de notre destinée. Peut-être est-ce une explication au mystère du toro.

La corrida, et toutes ses expressions, illustre la vision intégrale de la vie.

Dans une société où la mort se contourne et en certaines occasions est délibérément masquée, de même que la vieillesse, la maladie ou la douleur, les fêtes taurines affrontent la mort sur tous les plans.

Ce rappel de la mort permet à celui qui participe à la fête, quelle qu’en soit la façon, à se sentir plus vivant.

Cette invitation à vivre avec plus d’intensité s’étend bien au-delà de l’arène et des rues où se déroulent les spectacles taurins. La conscience de la mort permet de vivre la vie plus intensément.

La tauromachie est universelle, car elle transmet la nécessité d’accepter la vie dans toutes ses dimensions, et de vivre en toute plénitude.

La tauromachie n’est pas un spectacle de mort, si ce n’est l’exaltation de ce que nous sommes : nous nous confrontons à la mort pour nous sentir vivants.

Voila la réalité pour des millions de personnes dans le monde. Nous ne demandons pas que tous la partagent. Par contre, nous exigeons que chacun la respecte.

Et je conviens que demeure une question sans réponse : la tauromachie est-t- elle nécessaire ?

Et bien, je n’en suis pas sûr …

La danse est-elle nécessaire ?

Le théâtre est-il nécessaire ?

Les différentes expressions culturelles sont-elles nécessaires ?

Notre espèce aurait-elle évolué sans la peinture cubiste ou sans la musique rock ? Goya, Falla ou Garcia Lorca sont-ils nécessaires ?

Peut-être aurions nous existé sans rien de tout cela. Certainement. Mais indubitablement, le monde serait un endroit bien plus pauvre. Comme il serait plus pauvre si la tauromachie n’existait pas.

Et précisément, pour préserver la richesse culturelle mondiale, l’UNESCO a approuvé en 2005 une Convention concernant la protection et la promotion de la Diversité des Expressions Culturelles, approuvée pour se prémunir de possibles censeurs de quelque expression culturelle.

Parce que toute expression culturelle est le patrimoine de chacun, et fait que le monde est plus riche. C’est le contraire de ce que prétendent certains.

L’UNESCO a approuvé cette Convention, à peine quelques années après la destruction des Buddhas de Bamiyan, en Afghanistan par le régime islamique taliban.

Ils ont été bombardés parce que quelqu’un a décidé que ces statues millénaires étaient contraires à la morale.

Pensez-y, Mesdames et Messieurs les Sénateurs : ils ont détruit le patrimoine culturel de tous, pour la seule raison qu’il paraissait immoral à quelques uns.

Ce n’est, ni plus ni moins, ce que certains prétendent faire avec la tauromachie.

J’en termine, Mesdames et Messieurs les Sénateurs,

La culture du toro est née sur les rives de la Méditerranée. Le toro, comme animal totem, est un mythe nécessaire à notre façon de comprendre le monde.

Ce n’est pas le hasard si le toro est précisément l’animal sur lequel se fondent les mythes fondateurs de l’Europe elle-même.

Et c’est cependant le génie ibérique qui a mis en évidence les significations plus profondes concernant la vie et la mort, en relation avec ce toro universel.

Et c’est ainsi, alors que notre Siècle d’Or en est à sa plénitude, que s’élargissent les limites de la culture de l’humanité, quand la tauromachie moderne illustre une de nos expressions culturelles les plus caractéristiques.

La culture ne se crée ni ne se détruit par décret, elle est le produit du temps, de la création de quelques uns et de l’accession du peuple à ces créations.

Ainsi apparaît et se développe la tauromachie.

Egalement de cette manière, depuis les origines ibères, la tauromachie fut adoptée en d’autres lieux, par des peuples ayant une pulsion vitale identique, une façon similaire de faire face à la vie et à la mort, de célébrer et exalter de façon radicalement vitale l’existence.

La tauromachie, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, est le cadeau culturel de l’Espagne à l’humanité.

La France, le Portugal, le Mexique, l’Equateur, le Venezuela, la Colombie, le Pérou et l’Espagne, sont aujourd’hui les gardiens du précieux patrimoine de tous, et nous sommes tous responsables de sa pérennité et de sa transmission de génération en génération.

Mesdames et Messieurs les Sénateurs, soyez les dignes représentants de votre circonscription, et luttez pour la tauromachie, avec fierté, en tant que patrimoine commun de l’humanité.

Merci beaucoup.

Victorino Martín
Eleveur
Président de la Fondation du Toro de Combat.